vendredi 21 février 2020

Livres lus ou relus (terminés entre le 14 et le 20/02)


- Sébastien Smirou, Pierre Sky l’enchanté, Marest, 2019
- Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine, édition de Jean-Louis Backès, Gallimard, 1996
- Bruno Delarue, Monet, cathédrales, Terre en vue, 2010
- Jacques Roubaud / Jean-Pierre Gilson, Scotland, Créaphis, 2019 (réédition amoindrie de 1991)
- Jean Rolin, Savannah, POL, 2015
- Anne Immelé / Jean-Luc Nancy, Wir, Filigranes, 2003
- Bernard Plossu / Bernard Noël, Lire / écrire, Yellow Now, 2019
- Jean Rolin, Ormuz, POL, 2013
- Jean Rolin, Les événements, POL, 2015
- Francis Ponge, Nioque de l’avant-printemps, Gallimard, 1983
- Elizabeth Floch, Neiges pour mémoire, Contrejour, 1991
- Roland Barthes, Journal de deuil, Seuil/ Imec, 2009


1- Voyages ferroviaires et lecture.
2- Le livre de Smirou forme avec le livre de Pierre Sky (Chant-contre-chant, chez le même éditeur), un couple inséparable, comme les deux faces d’une médaille, dont le revers serait changeant, moiré. Il y a d’une part un essai cinématographique très probant de Pierre Sky sur la notion de chant-contre-chant dans le cinéma de Nanni Moretti, et d’autre part, un essai du psychanalyste Sébastien Smirou, sur ce même Pierre Sky, qui fut un temps son patient avant de disparaître. Récit de cas, donc, ou récit biographique. Essai ou récit, les frontières se brouillent et le livre même de Pierre Sky vient s’inclure dans le récit que font les deux livres (comme des poupées Russes, l’un s’incluant dans l’autre, mais ayant sa propre existence extérieure aussi). L’auteur Sébastien Smirou chapeaute le tout, tire les ficelles de la fiction, travaillant sur l’idée du double (thème récurrent dans son œuvre, comme le signalait Sébastien Rongier dans un entretien organisé à la Maison de la Poésie, qui fut le lieu du dévoilement) du dédoublement, ajoutant brouillage au brouillage. Récit ou essai : on retrouve là le travail d’investigation entamé par Smirou dans son essai sur Cappa, ou l’essai joue de ses frontières avec la fiction, le désir d’analyse, qui permet des regards différents mais croisés, puisqu’il s’agit de donner à voir, de fabriquer du sens, probable et probant. Biographie ou roman, essai ou roman : chacun des deux livres peut se lire comme un essai et se suffit amplement, mais la dimension romanesque déploie encore le champ, multiplie les jeux de miroirs (et du coup de cet autre miroir dans la construction romanesque : une part d’autobiographie peut-être, dans l’auto-analyse, le rapport à la parole, le double alter ego, mais dans une anamorphose singulière ? Un drôle de théâtre se joue entre ces deux livres (car il ya bien une théâtralisation, une mise en perspective, qui fait jouer les livres, les personnages, sur une scène où se tiennent des êtres de chair et de papier), qui multiplie les interrogations. Et le livre qui se joue entre les deux, non écrit, celui du lecteur, est une merveille de mécanique, qu’il faudra revisiter encore.
3- Onéguine à nouveau, dans une autre traduction, dont l’auteur admet l’insuffisance à rendre la langue « limpide » de Pouchkine (29). Ce qui répond à une de mes questions, puisque je ne parle pas Russe, sur la façon dont serait perçu le texte original. Maintenant, lire une troisième traduction, et l’absence de lassitude à une autre lecture m’étonne. Je n’ai pas d’autre souvenir de m’être accroché à plusieurs traductions ainsi, mis à part peut-être pour Pétrarque. Une lecture en variations. J’aimerais trouver une traduction en prose, pour voir. A poursuivre.
4- Variations qui me fascinent dans la peinture de Monet (et j’apprends : les peupliers, les meules de foin – chercher), que je découvre seulement maintenant, du moins dans un vrai rapport frontal – depuis disons à peu près un an, un tour à Giverny et puis récemment la lecture d’un livre de Marianne Alphant.
5- Dans ce système d’échos, Scotland renvoie à d’autres livres de Roubaud (le Gil, la poésie, les aventures de Mr. Goodman…), aux ciels anglais et autre « châteaux de nuages ». Motifs et sens de la profondeur que l’on retrouve dans les magnifiques photographies de Jean-Pierre Gilson, dont la construction précise, est reprise par Roubaud, bien qu’on puisse soupçonner un effet inverse, bien qu’il soit impossible. Les ekphrasis fonctionnent ici aussi en double, en variations. Mais sans doute est-ce un effet de lectures multiples.
6- Trois livres de Jean Rolin et trois rapports à la fiction : de l’autobiographique Savannah, qui double un premier voyage avec Kate Barry, sur les traces des souvenirs, pudiquement et sans s’appesantir à la fiction complète, post-apocalyptique, de Les événements, avec le statut un peu entre-deux d’Ormuz. Rolin a rejoint les quelques auteurs dont j’ai bien avoir un livre en réserve, au cas où (comme Chevillard, Echenoz…), et que je lis avidement, happé dans le récit, la plupart du temps. Il y a quelque chose de très similaire dans les trois livres : un rapport aux lieux, au descriptif en action, où chaque endroit se rapporte à l’œil qui le voit, avec un exotisme de regard, ou bien un regard qui donne l’impression d’une familiarité :  « uniformité qui développe chez moi le sentiment de n’être nulle part, ou d’être n’importe où. » (Ormuz - 101). Le monde est « un théâtre de dimensions prodigieuses » (ibid. - 187), ce qui lui confère aussi des dimensions réduites, celle de la tête, de l’œil, où se reflètent les personnages et les décors de cet espace théâtralisé.
7- Trois livres d’images, dont deux de type anthologiques thématiques (la lecture, par Plossu, et la neige par divers photographes, regroupés par Floch – j’aime et je n’aime pas les anthologie, pourtant les vertus apéritives, les systèmes de renvois, de lecture seconde) et le troisième dont je perçois chaque cliché comme au bord de l’effondrement, un instant dramatisé sans que pourtant rien ne puisse m’y faire penser, puis je lis dans la post face de Jean-Luc Nancy : « la menace et la chance que les êtres, les étants viennent à s’effriter dans cette granulation impondérable et se décomposent en ne pulvérisation dont la lumière elle-même constitue le brouillard au lieu d’allumer les rayons qui le dissiperaient. »  (60)
8- Ponge et la fabrique. Montrer le texte en fabrication, ce qui donne le texte, ses variations, ses miroitements. Une relecture, qui en entrainera d’autres (Et de La Fabrique du pré, aussi, je pense). Quelque chose qui nourrit.
9- Très vite, à la lecture du Journal de deuil, et en pensant à Incidents du même auteur, me vient l’expression Journal en miettes (Ionesco, après vérification). Fragmentation et travaux en cours (Ponge, encore), et évidemment, en mémoire, Le Tombeau d’Anatole, bien qu’ici il s’agisse plutôt de Proust. « Au début, chose bizarre, j’avais une sorte d’intérêt à explorer la situation nouvelle (solitude). » (95), il ya en effet un rapport presque naïf, neuf, au rapport au deuil, qui confine à l’analyse de ce qui est éprouvé (sans doute en faire un écran, aussi ?), en faire un faisceau de signes, à domestiquer : « Je cherche ma place. » (188).

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