- Sébastien
Smirou, Pierre Sky l’enchanté, Marest, 2019
- Alexandre
Pouchkine, Eugène Onéguine, édition de Jean-Louis Backès, Gallimard,
1996
- Bruno Delarue,
Monet, cathédrales, Terre en vue, 2010
- Jacques
Roubaud / Jean-Pierre Gilson, Scotland, Créaphis, 2019 (réédition
amoindrie de 1991)
- Jean Rolin, Savannah,
POL, 2015
- Anne Immelé /
Jean-Luc Nancy, Wir, Filigranes, 2003
- Bernard Plossu
/ Bernard Noël, Lire / écrire, Yellow Now, 2019
- Jean Rolin, Ormuz,
POL, 2013
- Jean Rolin, Les
événements, POL, 2015
- Francis Ponge,
Nioque de l’avant-printemps, Gallimard, 1983
- Elizabeth
Floch, Neiges pour mémoire, Contrejour, 1991
- Roland
Barthes, Journal de deuil, Seuil/ Imec, 2009
1- Voyages
ferroviaires et lecture.
2- Le livre de
Smirou forme avec le livre de Pierre Sky (Chant-contre-chant, chez le
même éditeur), un couple inséparable, comme les deux faces d’une médaille, dont
le revers serait changeant, moiré. Il y a d’une part un essai cinématographique
très probant de Pierre Sky sur la notion de chant-contre-chant dans le cinéma
de Nanni Moretti, et d’autre part, un essai du psychanalyste Sébastien Smirou,
sur ce même Pierre Sky, qui fut un temps son patient avant de disparaître.
Récit de cas, donc, ou récit biographique. Essai ou récit, les frontières se
brouillent et le livre même de Pierre Sky vient s’inclure dans le récit que
font les deux livres (comme des poupées Russes, l’un s’incluant dans l’autre,
mais ayant sa propre existence extérieure aussi). L’auteur Sébastien Smirou
chapeaute le tout, tire les ficelles de la fiction, travaillant sur l’idée du
double (thème récurrent dans son œuvre, comme le signalait Sébastien Rongier
dans un entretien organisé à la Maison de la Poésie, qui fut le lieu du
dévoilement) du dédoublement, ajoutant brouillage au brouillage. Récit ou
essai : on retrouve là le travail d’investigation entamé par Smirou dans
son essai sur Cappa, ou l’essai joue de ses frontières avec la fiction, le
désir d’analyse, qui permet des regards différents mais croisés, puisqu’il
s’agit de donner à voir, de fabriquer du sens, probable et probant. Biographie
ou roman, essai ou roman : chacun des deux livres peut se lire comme un
essai et se suffit amplement, mais la dimension romanesque déploie encore le
champ, multiplie les jeux de miroirs (et du coup de cet autre miroir dans la
construction romanesque : une part d’autobiographie peut-être, dans
l’auto-analyse, le rapport à la parole, le double alter ego, mais dans une
anamorphose singulière ? Un drôle de théâtre se joue entre ces deux livres
(car il ya bien une théâtralisation, une mise en perspective, qui fait jouer
les livres, les personnages, sur une scène où se tiennent des êtres de chair et
de papier), qui multiplie les interrogations. Et le livre qui se joue entre les
deux, non écrit, celui du lecteur, est une merveille de mécanique, qu’il faudra
revisiter encore.
3- Onéguine
à nouveau, dans une autre traduction, dont l’auteur admet l’insuffisance à
rendre la langue « limpide » de Pouchkine (29). Ce qui répond à une
de mes questions, puisque je ne parle pas Russe, sur la façon dont serait perçu
le texte original. Maintenant, lire une troisième traduction, et l’absence de
lassitude à une autre lecture m’étonne. Je n’ai pas d’autre souvenir de m’être
accroché à plusieurs traductions ainsi, mis à part peut-être pour Pétrarque.
Une lecture en variations. J’aimerais trouver une traduction en prose, pour
voir. A poursuivre.
4- Variations
qui me fascinent dans la peinture de Monet (et j’apprends : les peupliers,
les meules de foin – chercher), que je découvre seulement maintenant, du moins
dans un vrai rapport frontal – depuis disons à peu près un an, un tour à
Giverny et puis récemment la lecture d’un livre de Marianne Alphant.
5- Dans ce système
d’échos, Scotland renvoie à d’autres livres de Roubaud (le Gil, la
poésie, les aventures de Mr. Goodman…), aux ciels anglais et autre
« châteaux de nuages ». Motifs et sens de la profondeur que l’on
retrouve dans les magnifiques photographies de Jean-Pierre Gilson, dont la
construction précise, est reprise par Roubaud, bien qu’on puisse soupçonner un
effet inverse, bien qu’il soit impossible. Les ekphrasis fonctionnent ici aussi
en double, en variations. Mais sans doute est-ce un effet de lectures multiples.
6- Trois livres
de Jean Rolin et trois rapports à la fiction : de l’autobiographique Savannah,
qui double un premier voyage avec Kate Barry, sur les traces des souvenirs,
pudiquement et sans s’appesantir à la fiction complète, post-apocalyptique, de Les
événements, avec le statut un peu entre-deux d’Ormuz. Rolin a
rejoint les quelques auteurs dont j’ai bien avoir un livre en réserve, au cas
où (comme Chevillard, Echenoz…), et que je lis avidement, happé dans le récit,
la plupart du temps. Il y a quelque chose de très similaire dans les trois
livres : un rapport aux lieux, au descriptif en action, où chaque endroit
se rapporte à l’œil qui le voit, avec un exotisme de regard, ou bien un regard
qui donne l’impression d’une familiarité : « uniformité qui développe chez moi le
sentiment de n’être nulle part, ou d’être n’importe où. » (Ormuz -
101). Le monde est « un théâtre de dimensions prodigieuses » (ibid. -
187), ce qui lui confère aussi des dimensions réduites, celle de la tête, de l’œil,
où se reflètent les personnages et les décors de cet espace théâtralisé.
7- Trois livres
d’images, dont deux de type anthologiques thématiques (la lecture, par Plossu,
et la neige par divers photographes, regroupés par Floch – j’aime et je n’aime
pas les anthologie, pourtant les vertus apéritives, les systèmes de renvois, de
lecture seconde) et le troisième dont je perçois chaque cliché comme au bord de
l’effondrement, un instant dramatisé sans que pourtant rien ne puisse m’y faire
penser, puis je lis dans la post face de Jean-Luc Nancy : « la menace
et la chance que les êtres, les étants viennent à s’effriter dans cette
granulation impondérable et se décomposent en ne pulvérisation dont la lumière
elle-même constitue le brouillard au lieu d’allumer les rayons qui le
dissiperaient. » (60)
8- Ponge et la
fabrique. Montrer le texte en fabrication, ce qui donne le texte, ses
variations, ses miroitements. Une relecture, qui en entrainera d’autres (Et de La
Fabrique du pré, aussi, je pense). Quelque chose qui nourrit.
9- Très vite, à
la lecture du Journal de deuil, et en pensant à Incidents du même
auteur, me vient l’expression Journal en miettes (Ionesco, après
vérification). Fragmentation et travaux en cours (Ponge, encore), et
évidemment, en mémoire, Le Tombeau d’Anatole, bien qu’ici il s’agisse
plutôt de Proust. « Au début, chose bizarre, j’avais une sorte d’intérêt à
explorer la situation nouvelle (solitude). » (95), il ya en effet un
rapport presque naïf, neuf, au rapport au deuil, qui confine à l’analyse de ce
qui est éprouvé (sans doute en faire un écran, aussi ?), en faire un
faisceau de signes, à domestiquer : « Je cherche ma place. »
(188).
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