lundi 20 avril 2020

Livres lus ou relus (terminés entre le 20 et le 26/03)


- Thomas H. Cook, L’étrange destin de Katherine Carr, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Loubat-Delranc, Seuil, 2013
- Gudule, Destination cauchemar !, Nathan, 1998
- Ron Siliman, You, traduit de l’anglais par Martin Richet, Vies parallèles, 2016
- Fabien Vallos, Le poétique est pervers, Mix, 2006
- Jacques Roubaud, Tridents, Nous, 2019
- Senna Hoy, numéro 2, mars 2020
- Koshkonong, numéro 17, Hiver 2020, Éric Pesty Éditeur
- Koshkonong, numéro 17, Hiver 2020, Éric Pesty Éditeur

1- Étrange polar, à propos duquel je ne parviens pas à trancher s’il est bon ou mauvais. Trois histoires parallèles, au moins, qui se rejoignent, des décrochements narratifs vers un double manuscrit découvert au fur et à mesure (un journaliste dont le fils a disparu enquête un peu au hasard sur la disparition d’une femme, poète, dont il lit les manuscrits au fur et à mesure de ses rencontres avec une petite fille, Alice, passionnée de romans policiers et qui est atteinte de progéria et va donc disparaître): une impression de flottement, de discontinuité dans la lecture et la mémoire. Un récit en surfaces discontinues, qui interroge dans sa forme.
2- Lecture de travail. Gudule est un auteur souvent apprécié par les élèves - lecture en plus.
3- You (25ème livre de son Alphabet) répond à une procédure simple dans la pratique : écrire un paragraphe par jour (« Le paragraphe comme figure à quatre faces » - 15) pendant un an et regrouper chacun de ses paragraphes par sept. Observations diffractées, reprises, accumulées dans la rupture sémantique et syntaxique (« Paragraphe au mauvais endroit » - 94). Il se construit un récit elliptique, une année («Poème aussi graduel que le temps qu’il fait. » - 36), dans ses manques volontaires, par effleurements (« Au terme d’une journée, le tatouage éphémère commence à se fondre dans la texture de la peau.» - 88), pointage : « c’est ici ». (« Les détails déferlent, bourdon de mille traits, chacun infiniment spécifique, apparent. L’art du temps à la teneur des tons. Engrenages et leviers d’une seule main, cachés sous la chair, convergent pour soulever ce stylo. Ce que je n’écris pas c’est le choc de te voir malade. » - 14) « Chaque phrase comprise comme boîte de dialogue. » (73), qui explique sans doute ce You, car le procédé envoie le lecteur à sa quotidienneté, à ce qu’il peut embrasser par le regard ou la phrase, ou encore la « figure à quatre faces » qui cadre l’énoncé qui prélève dans le jour. – en tous cas fait son travail de toile, de relier, d’interrogation de ce qui s’écrit là, dans un présent d’énonciation, presque devant lui, dans l’immense possibilité d’arrangements de ses facettes.
4- Le petit livre de Fabien Vallos fonctionne comme une boîte à outils (Je pense à Agamben, Idée de la prose – Bourgois, 1998 -  qui est d’ailleurs cité d’emblée – 7). Chaque outil est exploré en partant le plus souvent d’un travail sur l’étymologie – travail aussi au sens ou le matériau travaille et dévie, dérive en apportant son lot de modifications, d’enrichissements, vers une ouverture spéculative. « L’œuvre d’art, poétique, se redéfinit ainsi dans la description du principe d’ « instaurateur de discursivité », c'est-à-dire que le texte n’est plus alors un livre, un objet, mais une fonction de discursivité, de fabrique du discours, qui selon le mot de Foucault, établit une possibilité infinie de discours, entre la fonction-auteur et le lecteur. » (24)
5- L'étrangeté de reprendre un livre commencé il y a longtemps, terminé sans être relu.
6- Plus je lis Roubaud et plus je vois son univers à la fois en expansion et réduction, dans le sens ou les réseaux se forment se reforment et donne l’impression d’un œuvre close, comme un labyrinthe, et en même temps ouvert, vu du dessus, permettant au regard interne d’appréhender un espace de plus en plus vaste dans ses replis, comme la mémoire. Les tridents sont une forme simple, assez minimaliste, et de ce fait permettent une variation infinie et une construction sans bornes.
7- Plus je lis Roubaud et plus j’ai envie de le relire.
8- Moments de lecture dans ce qui échappe, ne prend pas (voir aussi : l’absence de contextualisation, et je perds pied, mais j’aime aussi cette perte) – il faudra reprendre Senna Hoy. Je note juste : l’étrangeté de lire Marie-Louise Chapelle en anglais (une familiarité, un exotisme, conjoints).
9-Deux numéros très denses (Anne-Marie Albiach, Claude Royet-Journoud, George Oppen, Norma Cole – traduits par Yves Di Manno et Martin Richet : textes ou ensembles longs, lecture plus intense) de Koshkonnong dont les couvertures s’articulent autour de deux dessins d‘Anne-Marie Albiach, et dans une forme double, miroir, dans l’agencement des numéros. « le mouvement pris dans le tissu / ne chasse pas l’écho » (CRJ) – « le cœur alternatif // l’espace parcourt / les membres // livrés au hasard » (AMA).

Un outil

"[...] le vers est ce qui tend vers, ce qui avance et va, pour finir à travers (le point, le blanc), vers un autre vers, et cet autre vers vers un autre vers, encore, etc."
(Jean-Marie Gleize, "Je ne sais situer", in  Jean Tortel L’œuvre ou vert, textes réunis par Catherine Soulier, Université Montpellier, 2001 - 16)

mardi 14 avril 2020

Livres lus ou relus (terminés entre le 13 et le 19/03)


- Paul Eluard, Man Ray, Les Mains libres, Gallimard, 1947
- Philippe Claudel, De quelques amoureux des livres que la littérature fascinait, qui aspiraient à devenir écrivain mais en furent empêchés par diverses raisons qui tenaient aux circonstances, au siècle de leur naissance, à leur caractère, faiblesse, lâcheté, mollesse, bravoure, ou bien encore au hasard qui de la vie fait son jouet & entre les mains duquel nous ne sommes que de menues créatures, vulnérables & chagrines, Finitude, 2015

1- Brefs poèmes d’Eluard sur des dessins de Man Ray (et non l’inverse : semi-ekphrasis, dérivées, oniriques - ce qui m'intéresse).
2- Énumération de ratages littéraires fictifs, tous débutant par l’esperluette, un peu borgésiens et souvent vraiment drôles (j’ai éclaté de rire plusieurs fois  – 28, par exemple) – le dernier est peut-être de trop : « Quant à moi […], 112, parce qu’il referme l’absurdité fictionnelle qui fonctionnait si bien. Le jeu sur le titre long, qui fait la couverture, irait dans ce sens dans son étirement.
3- Je pense à plusieurs livres sur les œuvres détruites, que j’ai envie de relire.

vendredi 10 avril 2020

Livres lus ou relus (terminés entre le 6 et le 12/03)


- Ulf Stolterfoht, Lexique des superstitions allemandes, intraduction de l’allemand Bénédicte Vilgrain, Théâtre typographique, 2019
- Senna Hoy, numéro 1, décembre 2019

1- Composé de 9 poèmes de 5 quintils aux vers très longs, ce Lexique des superstitions allemandes m’a fait visuellement très vite penser à ces textes denses de Prynne (To Pollen par exemple, chez Barque Press) et il s’avère que Stohlterfoht est traducteur de Prynne en allemand. Voilà pour une parenté qui m’a enchanté.
2- Un texte à la fois compact et luxurieux, en anacoluthes et télescopages (« questions d’un équarrisseur / en train de lire » - 3), rejets, pousses (« j’appelle / ça : poncer intriguer décheter » -3), dont l’amplitude du vers « aplanit » (5) la vitesse des assertions. Tout se joue entre deux rythmes mais prend corps assez rapidement dans la lecture. Il s’agit de faire des liens, des branchements, élaborer des relations (« faim relationnelle » - 4) dans cette « littérature en camelote » (7) qui joue sur l’accumulation et la condensation. Au premier abord, c’est abrupt, puis on y prend plaisir, à tracer des chemins variés, à faire jouer le texte. Vraiment un très belle découverte...
3- « Senna Hoy, une revue de poésie en anglais et en français, publiée par Luc Bénazet et Jackqueline Frost » est une revue bilingue donc : textes écrits en anglais ou traduits en français et vice-versa. Pas de traduction en regard, en miroir. Trois auteurs pour ce numéro, sans contextualisation ou note biobibliographique, texte brut, donc : Christina Chamers, Nat Raha et Victoria Xardel. Les textes sont souvent politiques et d’une lucidité sans concession (« Ton goût pour le désordre / n’est qu’une autre forme de maîtrise. Une prédilection pour les thèses extravagantes/  et comme telles, inattaquables […] – Victoria Xardel). L’assemblage joue sur une alternance des auteurs, dont les textes ne constituent pas un bloc (« diphtongs by rotations. concentration by flotation. » - Christina Chalmers), interrogeant notre rapport à l’auteur et à la lecture, déstabilisant nos attentes. Une belle revue, qui donne à penser dans sa forme.