mardi 28 août 2018

En ligne, ici et là.

Le site d'Eric Pesty Editeur a été mis à jour et on peut trouver A fin de (peser le mouvement) ici.

Bruno Fern en a publié une recension sur Sitaudis, et c'est . (J'aime ses recensions, qui procèdent de la recherche d'indices pour éclairer le comment-ça-marche-?, du travail de mécanique lexicale)

samedi 18 août 2018

Livres lus ou relus (terminés entre le 10 et le 16/8)


- Lettres de Maïakovski à Lili Brik (1917-1930), traduites du russe par Andrée Robel avec une introduction de Claude Frioux, Gallimard, 1969
- Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort, traduction d’Arthur Adamov, Actes Sud, 1982 (rééd .1989)
- Denis Roche, La montée des circonstances, Delpire, 2018
- Fred Léal, Asparagus, POL, 2013
- David Zérah, 24h44, Editions Label Qualité, 2018
- Denis Roche, Photographies, 1965-1989, Espace Photo Paris, 1989
- Eric Audinet, Bande-annonce, CipM, 2016
- Keith H. Basso, Les chants sont puissants (Extraits du journal d’un ethnographe), traduit de l’anglais par Cléa Chopard, L’ours Blanc, 2018
- Alix Cléo Roubaud, Journal 1979-1983, Seuil, 1984
- Marie de Quatrebarbes, John Wayne est sous mon lit, CipM, 2018
- Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale, Seuil, 2011
- Lyn Hejinian, Gesualdo, traduit de l’américain par Martin Richet, Eric Pesty Editeur, 2009
- Marie-louise Chapelle, Tu (maniériste), Eric Pesty Editeur, 2017
- Jean-Philippe Lemée, Tableaux Faits main (commentaires), Galerie du Chai, 1993


1- Correspondance amoureuse, dans la répétition et le rite (les surnoms affectifs, le jeu présence-absence, manque et gagne, miroirs tendus, ce qui resserre les liens), avec les tracasseries (éditoriales, financières, …), les voyages, qui en font un document intéressant – quelque part du côté de l’autobiographie et de la biographie littéraire. S’y intercalent des poèmes, dont il est question dans les lettres – traversée ultra rapide de l’œuvre, scan des l’évolution – une accélération du vers, en escalier – ou qui alludent à la relation privée. « Malheureusement, j’ai encore envie de poèmes – je suis un poète lyrique ! »(141) Je me suis souvenu avoir recopié le poème « Toi » (96), adolescent, dans une autre traduction (Armand Robin ?). Et parfois très drôle : « Je n’ai appris à parler ni le franç(ais) ni l’espagnol, par contre, j’ai travaillé ma mimique, étant donné que c’est mon seul moyen d’expression. » (156).
2- Poème élégiaque, qui oppose la ville (« Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites » -19 – « Les grandes villes n’ont rien de vrai » - 23 -, « La poussière des villes se lève pour souiller leur visage » - 26) à la campagne, l’ère industrielle (qui produit la pauvreté et la misère de la mort : « Seigneur, nous sommes plus pauvres que les pauvres bêtes / qui, même aveugles, achèvent leur propre mort » - 21) à une forme d’âge d’or, divin (« Seigneur »), mais sans dieu défini, où le sauveur est homme (« il », « lui », sont sans majuscule – ecce homo ?), et dont la mort accomplie est le centre. La note liminaire d’Adamov sur sa traduction, qui évoque la « conviction intime » du traducteur, est, de ce fait, exemplaire.
3- Ce qui échappe, qui appartient aussi à toute lecture.
4- Beau volume de / consacré à Denis Roche, puisqu’aussi bien il s’agit d’un essai sur Denis Roche photographe (par Farid Abdelouahab), très éclairant, d’une anthologie de textes, parfois difficiles à trouver, et d’un livre d’images, les trois se répondant dans la construction du livre. Un bel objet, qui joue sur les papiers, et dont « La montée des circonstances » constitue le centre, comme un livre dans le livre, sur un papier crème, non couché – une suite de récits qui expliquent comment les photographies sont prises, affaire de temps, de lieu, etc. : « En matière de photo, n’importe comment, le temps a toujours le triomphe modeste. Il emporte un moment de notre vie avec lui, fort discrètement, un moment de notre vie amoureuse qui aura été vu sous un angle ’bancal’. » (111). Essayer d’y voir plus clair, comprendre ce que c’est que l’acte photographique (184), dans son mystère un peu magique (« […] je ne cesse de me demander comment ça se fait que ça ne nous laisse pas tous rêveurs. » - 158), sous diverses rubriques (les séries, la répétition, le nu, l’autoportrait, le reflet, la mise en abyme, le montage…), comme autant de facettes d’une œuvre fascinante. Et puis, ceci (qui me renvoie à autre chose) : « J’affronte toujours des malentendus. On croit que j’ai quitté la poésie pour m’occuper d’autre chose, que m’occupant de photographie j’ai abandonné la littérature, que, quand j’écris des  livres dans lesquels il y a des photographies ou dans lesquels je parle de photographie, je n’écris plus de littérature. » (228).
5- Roman dans la suite autobiographique de Fred Léal et de son séjour en Guyane – comme un hommage appuyé à Maurice Roche aussi, qui nous accompagne tout le long, et moindrement à Emmanuel Hocquard. Si cela bricole un peu moins la typographie, cela digresse beaucoup, à la Sterne, et cela joue avec la fable, le jeu autobiographique, l’invention romanesque, le travail sur le double, personnage, narrateur, lecteur, en poupées gigognes interchangeables.
6-Reprenant l’idée de Stephen Shore (July 22, 1969), David Zérah a photographié une personne de son entourage toutes les 30 minutes pendant 24 heures. Au-delà du procédé, on retrouve quelque chose de l’ordre des archétypes, d’une sorte de paysage social qui se déploierait dans le temps de la journée, dans un aspect documentaire – et il y a aussi, sans que cela soit vraiment palpable, quelque chose de touchant, dans la proximité du photographe et du modèle, dans l’affect qui peut se lire – une certaine façon.
7- Tout petit catalogue d’exposition (un carnet A6 sous cartonnage bleu ajouré), qui m’avait permis de découvrir les photographies de Denis Roche, dont je suis maintenant – et depuis peu – plus familier : je repense à une remarque sur la centaine de photographies qui restent de toute une vie de photographe. Alors, ce condensé, ici, de photos qu’on retrouve souvent dans d’autres livres. Rebattre les cartes. « Se déplacer dans l’espace, aller et venir, littéralement ne pas tenir en place, caractérisent en effet la déambulation de ce personnage qui, après avoir armé l’appareil, va et vient, entre et sort, repart et prend place comme si de rien n’était dans le cadre. » (Patrick Roegiers)
8- J’aime beaucoup les livres d’Eric Audinet et celui-ci n’échappe pas à la règle. Le procédé est  simple : l’auteur nous fait la bande annonce, avec ce que cela suppose de coupes, de morceaux de bravoure, d’interruptions et de montage, d’un livre qu’il doit écrire, mais qui lui échappe – en mire, un texte sur Eric Poitevin. En italique, théoriquement, nous avons l’auteur qui discourt, et en romain les aventures du héros, Tom, mais tout ne tarde évidemment pas à se bousculer, à flouter les frontières, à se jouer du récit, se contredire, prendre l’anachronisme par les cornes, à brouiller les limites entre fiction et réalité – les actualités omniprésentes, qui se présentent elles aussi comme des bandes annonce (« Je ne parlerai pas de l’information, je ne veux pas enfoncer de portes ouvertes mais vous le voyez bien, plus rien ne va à son terme, une image en chasse une autre, on se déplace dans une juxtaposition de moments qui se télescopent, de flashs intenses sur des zones minuscules pendant que le reste demeure dans les ténèbres, etc. ») – comme on verrait une chaîne d’info en continu. Quelque chose de borgésien dans la trame qui se met en route, amis que ne tarde pas à être plus profond, quitte à introduire une gêne – distanciation et retour sur image -  dans un récit qui demeure léger dans sa forme quasi dialogale.
9- Keith H. Basso a travaillé sur les Apaches occidentaux pendant toute sa vie – il s’agit ici du journal de son premier séjour avec eux : « Le conseil de Don sur comment commencer : ‘Mon dieu, je ne sais pas. Contente-toi de flâner. ». Flânons, cela donne envie.
10- Alix Cléo Roubaud est diariste et photographe. Il y a affirmation des deux choses, quelque chose qui se tient, un point central dirait-on, dans cette publication posthume, faite par son époux, Jacques Roubaud. Elle parle beaucoup du film de Jean Eustache, Les photos d’Alix, que j’ai vu récemment ici, et qui permet de se faire une idée de sa photographie (et d’une forme de décalage instauré, pour le coup plutôt drôle et absurde, mais que l’on perçoit dans les images – et je regrette de ne pas avoir acheté le beau livre paru au CipM il y a quelques années, Si quelque chose noir, dorénavant épuisé). Je note en vrac, pour y revenir : « L’ombre de ton bras autour de moi.Photographique, en ceci que c’était l’empreinte de ton corps sur une surface que tu ne voyais pas. » (22) ; « Que mes photos soient dans le quotidien;notre œil tourné vers le futur antérieur de l’image consignée:nous avons été cela. » (32) ; « la lumière,donc;rien que la lumière;la lumière quand elle tombe,la lumière qui impressionne la pellicule,la lumière dans laquelle se déchiffre l’image de la lumière,la lumière de la fenêtre;la lumière du soleil;reflétée dans l’eau;rétrécie dans la fenêtre;réfractée par la glace;condensée par la pellicule;vue dans une pièce où, de nouveau,la lumière du soleil, réfractée par la fenêtre,comprimée par une porte,réfractée par la glace,et ainsi de suite. » (51) ; « construire le théâtre de la mémoire en photo. » (56) ; « De la photographie.casser tout en fragments. » (67) ; « considérons que la photo de touriste ou de la famille ou de la classe est la matrice historique du geste photographique. […] il s’agit de donner aux visages aimés la fascination du merveilleux et de mettre le merveilleux dans sa poche. » (78 – mais je coupe sans respecter la hiérarchie des parenthèses) ; « Photography is indeed a form of silence. » (90) ; « Benjamin, au concept,préférait l’image;dans la temporalité,il privilégiait l’instant.croisez l’image et l’instant,en quelque sens qu’on veuille,image d’instant,instant d’images,on débouche sur la photographie. » (143).
11- Première lecture rapide du livre de Marie de Quatrebarbes, qui me séduit : quatre parties délimitées par des photogrammes d’un film d’Howard Hawkes, très proches, comme une forêt de séquoias,  avec des personnages, qui changent. La première partie est une biographie romancée d’Helen Holmes, la suivante de John Wayne, avec ce qui pourrait lier les deux personnages, une filiation, une affect profond ( ?), le rythme de la phrase s’y prend et peut emmener aux deux autres parties, qui sont plus déconstruites  (ou en tous cas, ne forment pas vraiment récit, suivi biographique), et créent une voix très particulière, dans une construction autour d’une figure quasi-héroïque (je pense par échos au Billy the Kid de Spicer – et la soif de la fin), mais comme une forme d’autoportrait dans une prosopopée commune – un nous polyphonique et pourtant centré- et très cinématographique. Une énigme en cours. (« Ça prend toujours du temps de savoir quand nous commençons à comprendre. » - 28 - ; « On continue d’avancer vers le but qui est marcher sans savoir où l’on va. »  - 37)
12- Le livre écrit par Landais, Piketty et Saez a pour but de nous convaincre de la nécessité d’une réforme de la fiscalité, et laquelle, ce qui tendrait plutôt à provoquer ma méfiance (convaincre n’est pas exposer, mais exposer, en matière d’économie, c’est souvent chercher à convaincre), mais comme je ne maîtrise absolument pas le sujet, j’en profite pour apprendre des choses sur notre système fiscal : l’histoire des taux, qui n’augmentent pas tant que ça, et sont même plutôt en baisse – en 2010, le taux le plus élevé est le plus faible enregistré depuis 1935 ! (59) –, l’impôt sur le ménage plutôt qu’individuel et ce qu’il induit sur le travail des femmes (65), que l’impôt sur le revenu rapporte moins que la CSG (question de la symbolique travail/revenu et le mythe de la surimposition), que le fait d’être propriétaire est considéré comme un revenu dans d’autres pays (Luxembourg, Suisse, Belgique, Italie – et l’a été en France).Il a aussi le mérite de rappeler des choses qu’on a trop souvent tendance à oublier : que tout le monde paie des impôts (la TVA, par exemple), que les impôts sur le revenu fonctionnent par tranches, sans effets de seuil (je paie un pourcentage par tranche, et si j’atteins une tranche, je ne vais pas payer plus pour ce qui est avant la tranche), que donc même si je dois payer le taux le plus élevé, ce ne sera pas le taux effectif de ce que je paie (il faut faire la moyenne), que les impôts sont payés par des personnes physiques (et donc répercutés ailleurs au besoin, prix, modération salariale… – les bonnes vieilles « charges » qui tuent « l’entreprise » ! ).
13- Lire pour préparer une lecture. Gesualdo, pris du côté de madrigaux, dans ce que tresse la forme, la voix ou les voix (me semble-t-il), et ce qui est de l’ordre du biographique bien là, mais le nœud du crime dans un angle mort – la construction d’une énigme (mise en forme, titres dans la marge, bref paragraphes, comme une chronique ?). « J’ai écrit de tous les bords imaginables ou presque, séculier et convaincant, rompu et improbable, avéré et ambigu. C’est impossible.»
14- Tu (maniériste), en rapport avec ce qui précède, et dans d’autres résonances (Mallarmé, Verlaine…), compose sur la manière, la matière, en mouvements subtils, dans la répétition, un livre magnifique, dont j’effleure, dans cette lecture trop rapide, quelques angles (« L’origine de cela et la profusion de sens est envisagée » - 35). Relire, aussi, les autres livres de Marie-Louise Chapelle. C’est une prose montée, de poésie, sur la poésie, les rapports qui s’y jouent, dans le récit, la réécriture, un livre, intime, d’amour, de désir (et du biographique aussi, dans un angle mort, mais parfaitement décelable – jeu, « volonté de chance » (29) joute, trobar, au vif : « Des paroles apparaissaient dans la nuit, signes suffisants de courage, d’après vos souvenirs, un objet d’amour unique, de désirs sus là, d’actes en sont fait » - 9). L’image, l’approche de l’image, dans le toucher presque, un marché d’équivalences (?), dans une manière d’abord, se signant comme telle :« La condition de possibilité d’un jeu futur illimité est suspendue à un renoncement préalable     Mon genre est égal     Le mot derrière mort image » (11) : « Que le poème soit une tentative ou non frappant les pas, ce dévoyé assure à ton désir sa précision      Comme tu à l’abandon, remettre à la même place les significations       Te perdre aussi      Ton image fixe, ça retourne » (21)
15- Jean-Philippe Lemée, par hasard, retour au passé : j’aime cette idée de « faits main », naïvement, dans le lieu commun, la reprise de tableaux, le schéma, la mémoire.

vendredi 10 août 2018

Livres lus ou relus (terminés entre le 3 et le 9/8)


- Léo Malet, Abattoir ensoleillé, Fleuve noir, 1972
- Alfred Stieglitz, Camera Work, The complete illustrations 1903-1917, préface de Pam Roberts, Taschen, 1997 
- Rie Aruga, Perfect world 1, traduit du japonais par Chiharu Chujo et adapté par Nathalie Bougon, Akata, 2016

1- Débuter par l'assassinat de Trotski et terminer par une sombre affaire de poches pétrolières au Mexique, une errance bagarreuse pour un roman "américain" à la gouaille parisienne, qui sent aussi le besoin de sonner de la copie. Pas le meilleur Malet, l'été doucement.
2- Edition en fac simile de toutes les photographies (et reproductions par photographie) de la revue de Stieglitz, avec un choix de textes, dans un ordre chronologique, Camera work est un livre utilement précieux. Il témoigne d'une évolution à partir d'une volonté de montrer purement de la photographie pour aller vers des reproductions d’œuvres (Picasso, Matisse, Rodin...), ce qui paraît aller dans le sens d'une volonté de faire reconnaître la photographie comme un art. Beaucoup de textes qui réfléchissent sur l'esthétique (pictorialisme, photo-sécession), mais aussi la technique ( l'utilisation des gommes, la question du tirage, la photographie couleur, la question de la reproduction - "Quality in prints" par Paul B. Haviland, 512-513 -... et je repense à Benjamin, sur la "reproductibilité technique").Un très beau texte de Bernard Shaw sur Alvin Langton Coburn (313-315 - dont l'entame se fait sur des questions techniques, justement) Il est aussi remarquable que deux textes de Gertrude Stein (sur Matisse et Picasso - 662 à 667) trouvent une défense de l'auteur et de son écriture dans deux autres textes (Hutchins Hapgood - 681-682 - et Mabel Dodge - 719-723). Quelque chose du laboratoire, donc.
3- Un livre d'images, d'échos aussi (Steichen et Stieglitz, souvent sur les mêmes motifs, mais parfaitement reconnaissables - ou encore deux vues de canaux, par le baron A de Meyer et Steichen, 676 & 705, sur le jeu des aplats de l'eau - quelque chose qui me fascine). Noter quelques noms: David Octavius Hill (et comment il en est venu à la photographie - le grand aïeul de ces pages), Gertrude Käsebier, Ward Muir, Robert Demachy, J. Craig Annan, George Davison, Clarence H. White,  Heinrich Kuehn, Annie W. Brigman, Paul B. Haviland, Paul Strand. Une liste de noms propres, un désir de voir.
4- Premier Manga: l'étrangeté de lire à l'envers, qui perturbe un peu au départ, petite errance dans le suivi narratif, qui est encore accentué par fonctionnement par éclairs, par flash, du récit: très elliptique souvent, des enchaînement très rapides (ce qui m'intrique  - su la lecture, comment elle se construit, pourquoi ici elle ne gêne pas alors qu'elle perturbe dans un texte "littéraire" - je songe aux avancées du récit chez Arno Schmidt, par exemple - analogie peut-être un peu hâtive!). Pour le reste, une bluette un peu sociale, dont on ne peut pas dire qu'elle m'ait intéressé (je songe aux romans photos, aux Arlequin), un genre de Manga: shojo, m'a-t-on dit.

lundi 6 août 2018

Livres lus ou relus (terminés entre le 27/7 et le 2/8)



-  Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie, traduit de l’allemand par Lionel Duvoy, Allia, 2014
-  Leslie Kaplan, Mai 68, le chaos peut être un chantier, POL, 2018
-  Jean A. Keim, Icônes russes, Fernad Hazan, 1967
-  Jean-Loup Trassard, Images de la terre russe, Le temps qu’il fait, 1990
-  Rainer-Maria Rilke et Lou Andréas-Salomé, Correspondance, traduction de Pierre Klossowski, Le Nouveau Commerce, 1976, 1989.
-  Eric Chevillard, Ronce-Rose, Minuit, 2017
-  Denis Roche, La photographie est interminable, entretien avec Gilles Mora, Seuil, 2007
-  Vincent Almendros, Un été, Minuit, 2015

1-   Une autre bibliothèque, repérages, y saisir l’occasion.
2-   Très beau et apéritif petit livre de Benjamin, avec une belle iconographie,, auquel on sait d’emblée que l’on reviendra, parce qu’il ouvre des perspectives, par l’approche technique (voir aussi L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique – le rapport à l’aura). Dans cette richesse, des éléments un peu flottants, que j’ai du mal à saisir, ou du moins d’en faire des points de repère définitif, même s’il éclaire – jeu de lumière. Le procédé, le portrait et son usage, la volonté d’y faire « art », dans le cliché (ou du moins à ce qu’il renvoie), le portrait anonyme (August Sander), les superbes pages sur Eugène Atget (« L’extraction de l’objet hors de son enveloppe, la destruction de son aura, constitue la marque d’une perception dont le sens pour ce qui est semblable dans le monde s’est accru au point que, par la reproduction, elle annexe aussi l’unique. » - 42), l’idée de « création collective », de miniaturisation (« l’art comme photographie – 49), le questionnement incessant des origines techniques, ce qui s’y dépose.
3-  « En dépit de toute l’habileté artistique du photographe et toute la rigueur avec laquelle le modèle maintient la pose, l’observateur, en contemplant une telle image, se sent irrésistiblement conduit à y déceler, hic et nunc, la plus petite étincelle de hasard par laquelle la réalité a en quelque sorte brûlé le sujet photographié, à trouver le lieu invisible où, dans l’instant de cette minute depuis longtemps écoulée, l’avenir se niche aujourd’hui et avec tant d’éloquence que nous pouvons, rétrospectivement, le dévoiler. » (16-17)
4-  Je n’avais jamais lu Leslie Kaplan, qui évoque mai 68 dans ce qui tient de l’essai, dynamique, sans nostalgie, mais sur ce qui reste actuel de ce mouvement, et d’un texte dialogué, quasi-théâtral, ce qui n’étonnera pas puisque la prise de parole en est le fondement (« qu’est-ce que c’est parler ? parler vraiment / parler à quelqu’un / un dialogue c’est quoi » - 10). Ce seront les développements sur le dialogue (34-41), qui ne propose pas vraiment de réponse, mais un ensemble de propositions qui montre l’importance d’une parole ouverte, attentive, questionnant, nouvelle perpétuellement. La reprise de slogans, devenus lieux communs, vidés de leur sens, pose dès lors un problème (je songe, par rebonds, à cette distinction entre le style direct et indirect de Deleuze – via Hocquard, pour la source) : « les paroles vivantes ont été ’récupérées’, c'est-à-dire : sont devenues des clichés / c’est l’état de maintenant / et c’est là-dessus que nous travaillons » (48). Comme dans le livre de Jean6christophe Bailly, on trouve cette préoccupation de l’actuel – et ici, une préoccupation forte et capitale du politique, par l’usage de la parole.
5-  Tout petit livre d’introduction, miniature, texte & images, dont je retiens « le temps et la négligence des hommes ont parfait ces destructions » (ce qui reste des icônes) et Le prophète Elie (Ecole de Novgorod, vers une abstraction – & le fond rouge), ainsi que les reproductions de Théophane le Grec et d’André Roublev (la finesse, la grâce).
6-                 Images de la terre russe, dont j’aime les très belles photographies (particulièrement les routes qui font échos chez moi à une scène d’Andreï Roublev de Tarkovski – les lignes dans le champ, lors de la fonte la cloche). Le texte ne me touche pas (sauf parfois les listes entre tirets, sans ponctuation : « – blancs couleurs rires à fichus – », 27)
7-  A l’extérieur aussi, de cette correspondance, pourtant pas nécessairement anecdotique, avec ce qu’elle touche dans le processus créatif.
8-  Une affaire de circonstances, comme souvent, dans ce qui fait écho, atteint une cible, et ce qui ne fait à première vue pas jouer la machine à lire, mais émergera peut-être plus tard, liens, reports, jonctions.
9-  Il faut toujours avoir un Chevillard en réserve – bien que celui-ci me semble une petite errance, un peu à côté (je pense au premier, dans le côté un peu enfantin, quelque chose de Zazie qui aurait vieilli – le déguisement, le cordonnier – mais ça n’a pas pris).
10- Denis Roche photographe, que je découvre un peu – on connaît sans avoir vraiment regardé -, que j’approfondis. La magie du livre d’images, des préoccupations qui se font jour, et puis ce qui fait système – construction, bricolage et une part de ce qui fait le hasard construit de la photographie – conditions de lumière : « Ces photos sont prises parce que nous sommes à un endroit donné, à un moment donné. […] Mon ‘endroit’, c’est celui où je suis, où je me trouve, où je me tiens. Ce n’est pas un ‘lieu’. Quand je prends une photo, quelle qu’elle soit, où que ça se passe, c’est dans un endroit précis. » (51) et « le jeu excitant du hasard » (65). Sur le rêve, le monde flottant (77), la mort, le masque, l’ex-voto, le manque (20 & 28), une idée qui se construit et bouge, selon les éclairages symboliques ou conceptuels, en ouvrant le champ.
11-  Vincent Almendros, comme un polar du soir, très bien écrit – et quand même, interroger ce qui fait un peu la marque de l’éditeur, une écriture comme lieu commun – du coup : un livre-vite, plaisir aussi, mais qui ne tient pas la mémoire.